Mouvement des Focolari
L’École Abbà : une fleur à quatre pétales

L’École Abbà : une fleur à quatre pétales

Après l’Assemblée Générale du mouvement des Focolari au début de l’année 2021, l’École Abbà (Centre d’études du mouvement des Focolari) a redémarré avec une nouvelle configuration. Pour en savoir plus, nous avons interviewé son directeur, Mgr Piero Coda, ancien doyen de l’Institut Universitaire Sophia de Loppiano (Italie), récemment nommé par le pape François Secrétaire Général de la Commission Théologique Internationale. Vous étiez dans le premier groupe convoqué par Chiara Lubich pour former l’École Abba : quels sont les objectifs de ce groupe d’étude ? Quelle a été votre expérience intellectuelle et spirituelle au contact de la pensée et de la vie de Chiara Lubich ? C’est assurément une grâce particulière qui m’a conduit à participer en 1989 au lancement de ce projet, avec Monseigneur Klaus Hemmerle, avant l’ouverture officielle de l’École Abba l’année suivante, en 1990. L’objectif que Chiara Lubich a confié dès le début à ce Centre d’études original était d’étudier et de dégager les implications théologiques, culturelles et sociales du charisme de l’unité. Mais avant tout, il s’agissait de faire une expérience vécue et partagée de l’Évangile de Jésus dans la lumière qui découle du charisme. À tel point que l’une des dernières instructions que Chiara a données à l’école Abba en 2004 était : « Soyez un cénacle de sainteté ! C’est le don et la mission de l’École Abba : apprendre à habiter avec sa vie, et donc aussi avec ses pensées, ce lieu où nous introduit la présence de Jésus ressuscité au milieu des siens, ce lieu qui est la vie de Dieu, le sein du Père. Cette vie – nous enseigne Chiara, conformément à l’Évangile et à la foi de l’Église – est la vie même de la Très Sainte Trinité, non seulement au ciel, mais au milieu de nous : “… sur la terre comme au ciel “. » Pour moi, ce fut et c’est toujours, une expérience unique. Je pourrais la décrire avec les mots de la première lettre de Jean : « Mes yeux ont vu, mes mains ont touché, mes oreilles ont entendu … la Parole de vie » : les sens de mon âme se sont éveillés et ont expérimenté la lumière de Jésus abandonné et ressuscité avec laquelle regarder la réalité d’une manière nouvelle. Ainsi, plus qu’auparavant, la théologie est devenue pour moi une réalité vitale et passionnante. Par ailleurs, comme des experts de toutes les disciplines participent à l’École Abbà, tous attentifs à vivre l’unité, y compris dans la communion de pensée, l’horizon de l’inter- et de la transdisciplinarité s’est ouvert, mettant à jour la racine et du but commun de toutes les formes de connaissance, désormais concrètement appelées à dialoguer entre elles. La théologie que je pratique a été extraordinairement enrichie par ce dialogue qui se situe non seulement au niveau interpersonnel mais aussi interdisciplinaire. L’École Abba a récemment connu un nouveau développement, et vous en êtes devenu le directeur en mars 2021. Pouvez-vous nous dire en quoi consiste ce développement ? L’École Abbà a maintenant plus de 30 ans et s’est développée et enrichie au cours de cette période. Près de 50 personnes ont rejoint cette École à différents moments : jusqu’en 2004 la présence de Chiara a été constante et très précieuse. Puis, des groupes de disciplines diverses sont nés autour de ses membres : psychologie, sociologie, politique, économie, sciences naturelles, art, dialogue… actuellement plus de 300 personnes dans le monde. À la suite de l’Assemblée Générale de l’Œuvre de Marie et comme fruit de tout un parcours de discernement communautaire, on a constaté que ces dernières années la “fleur” de l’École Abba s’est déployée en “quatre pétales” : on a donc cherché à leur donner une configuration qui permette tout à la fois leur unité et leur distinction, de manière à reconnaître et favoriser ce développement au service de la mission de l’Œuvre de Marie. Le premier “pétale” est composé de ceux (une quinzaine de personnes) qui sont appelés à poursuivre l’étude spécifique de la signification charismatique et culturelle de l’événement de 1949 qui fut une expression particulière du charisme de l’unité dans l’expérience vécue par Chiara, Foco (Igino Giordani), par ses premières compagnes et ses premiers compagnons et ensuite, progressivement, par tous ceux qui vivent ce charisme. De cette période de grâce nous conservons un précieux témoignage écrit par Chiara elle-même. Le deuxième “pétale” s’engage à transmettre ce patrimoine de lumière et de doctrine aux nouvelles générations :  c’est un groupe de 27 jeunes chercheurs compétents dans différentes disciplines et provenant du monde entier. Le troisième “pétale” réunit ceux qui ont fait partie de l’École Abba jusqu’à présent et qui continuent à en faire partie (un bon groupe de 29 personnes), en vue de réaliser des projets de recherche inspirés par le charisme et au service de l’Œuvre, sur la base de leurs compétences et expériences respectives. Enfin, le quatrième “pétale” est celui des groupes spécialisés dans une discipline et porteurs d’une vocation internationale. Quels projets avez-vous en tête pour l’avenir ? Nous mettons des projets sur la table pour discerner ensemble ce qu’il faut faire et comment le faire. Certaines choses intéressantes apparaissent déjà. La première est de donner forme à un “lexique” de la vie de l’unité : une sorte de vademecum dans lequel les idées-forces issues du charisme de l’unité sont présentées de manière universelle et enrichies à la lumière de tous les progrès réalisés jusqu’à présent. Une deuxième chose est d’offrir une contribution, à partir de la spécificité du charisme, au parcours synodal de l’Église que le pape François vient de lancer. Nous pensons, en effet, qu’il y a là quelque chose d’important : car Chiara, en 1949, dit que l’“Âme”, – ce nouveau sujet, tout à la fois personnel et communautaire, qui naît du pacte de l’unité – se présente avec “les caractéristiques de l’Église”, est accueilli dans le sein de la Trinité et constitue un “groupe” en marche. Synode est en effet le nom de l’Église qui marche aux côtés de tous, à commencer par les plus pauvres et les plus délaissés et avec tous ceux en qui nous reconnaissons le visage et le cri de Jésus abandonné. Il y a ensuite le grand thème anthropologique qui interpelle notre époque : en particulier, les relations entre les personnes, entre l’homme et la femme et entre les différentes cultures. Et enfin, les relations entre les religions : un signe des temps et un objectif propre au charisme de l’unité. Un membre des Focolari pourrait demander: comment puis-je participer à l’École Abba ? Comme l’a dit Chiara, le Mouvement est né comme une école. Dans l’École Abba, et donc dans l’Œuvre, il s’agit de se mettre à l’école décisive que Dieu a fait vivre à Chiara, Foco, aux premières focolarine, aux premiers focolarini, surtout en 1949. L’engagement, par conséquent, est que l’École Abba ne doit pas être un édifice inaccessible, mais équipé de nombreuses portes et fenêtres, afin que chacun puisse y participer. Je pense, par exemple, à la petite expérience que nous vivons à Loppiano pour offrir quelques éclairages afin que chacun puisse participer à cette lumière. C’est un fait extrêmement positif parce que, lorsqu’elle atteint les personnes dans leurs différentes situations, dans leurs différentes compétences, dans leurs différentes sensibilités, cette lumière suscite joie et créativité. L’École Abba n’est pas une réalité à sens unique qui ne partirait que de la lumière qu’elle a reçue. Non ! Sa lumière va et vient, enrichie par l’expérience, les questions, les solutions que la vie du peuple de Chiara acquiert et offre. C’est donc une dynamique vertueuse, qui doit être de mieux en mieux activée et promue.

Carlos Mana

Chiara Lubich : Corriger nos points faibles et repartir du bon pied

Chaque année, pendant la période de préparation de Noël, cette même invitation nous est adressée : préparez le chemin du Seigneur. (cf. Is. 40, 3). Depuis toujours Dieu a manifesté son désir de se tenir parmi ses enfants, Il vient « habiter parmi nous ». Chiara Lubich, dans cet extrait, nous suggère comment nous pouvons nous préparer à sa venue, comment ouvrir notre cœur à Jésus qui naît. Que de fois nous désirerions nous aussi rencontrer Jésus, qu’il chemine à nos côtés, que sa lumière nous éclaire ! Afin qu’il entre dans notre vie, éliminons ce qui lui fait obstacle. Il ne s’agit plus là de route à niveler, mais de cœur à lui ouvrir. Quelles barrières ferment notre cœur ? Jésus en énumère quelques-unes : « intentions mauvaises, inconduite, vols, meurtres, adultères, cupidité, méchanceté, fraudes, débauche, envie, diffamation, orgueil, démesure… » (Mc 7, 21-22). Il s’agit parfois de rancœurs à l’égard de parents ou de connaissances, de préjugés raciaux, d’indifférence devant les besoins de ceux qui nous sont proches, de manques d’attention et d’amour en famille… Concrètement, comment lui préparer la route ? En lui demandant pardon chaque fois que nous prenons conscience d’avoir dressé une barrière qui nous empêche d’entrer en communion avec lui. Par cet acte sincère d’humilité et de vérité, nous nous présentons devant lui tels que nous sommes, en lui montrant notre fragilité, nos erreurs, nos péchés. Nous lui déclarons notre confiance et nous reconnaissons son amour de Père, « miséricordieux et bienveillant » (Cf. Ps 103, 8). Nous exprimons notre désir de corriger nos points faibles et de repartir du bon pied. Chacun de nous trouvera le meilleur moment pour s’arrêter, considérer la journée écoulée et demander pardon : peut-être le soir, avant de s’endormir. Une autre possibilité de demande de pardon pour nos péchés nous est proposée au début de toute célébration eucharistique : vivons-la avec davantage de conscience et d’intensité avec toute la communauté. Enfin recourons à la confession personnelle où Dieu nous donne son pardon. Cela peut énormément nous aider. Nous y rencontrons le Seigneur à qui nous pouvons confier toutes nos fautes. Nous en repartons sauvés, certains d’être renouvelés et tout joyeux de nous sentir à nouveau véritables enfants de Dieu. Par son pardon, Dieu lui-même enlève tout obstacle, « aplanit le chemin » et rétablit un rapport d’amour avec chacun de nous.

Chiara Lubich

(Chiara Lubich, in Parole di Vita, préparé par Fabio Ciardi, Opere di Chiara Lubich, Cittá Nuova, 2017, p. 766-768)

Avoir pour ami un saint

Le 8 octobre 2021, la phase diocésaine du procès de béatification d’Alberto Michelotti et de Carlo Grisolia a pris fin à Gênes (Italie). Leur histoire est celle d’un itinéraire commun, d’une véritable amitié capable de tout surmonter. Comment “devenir saints ensemble” ? Ce n’est pas facile. Cela prend du temps et, surtout, il est nécessaire de marcher dans la même direction, de regarder vers la même source lumineuse. C’est l’histoire d’Alberto Michelotti (Gênes 1958 – Monte Argentera 1980) et de Carlo Grisolia (1960 Bologne – Gênes 1980), deux jeunes de Gênes (Italie) très différents l’un de l’autre à certains égards, mais liés par une solide amitié et un seul désir : mettre Dieu au centre de leur vie. L’idéal et le charisme du mouvement des Focolari les ont fortement attirés et unis dans une relation de véritable partage et de fraternité. Tous deux sont décédés en 1980, à 40 jours d’intervalle, Alberto lors d’une ascension en montagne, Carlo des suites d’une tumeur. Deux amis et un seul procès de canonisation, ouvert en 2005 par le Cardinal Tarcisio Bertone, Archevêque de Gênes. La phase diocésaine du procès s’est achevée le 8 octobre dernier. Mais qui sont vraiment ces deux jeunes ? Alberto a l’étoffe d’un leader, d’un battant, mais son leadership repose sur un “service” qui le rapproche toujours plus de son prochain, en particulier des plus démunis et des jeunes. Né et vivant avec sa famille dans la banlieue de Gênes, il fréquente la paroisse de San Sebastiano avec ses parents. Il prend une part active à la vie paroissiale et, après un premier engagement dans l’Action catholique, grâce à un prêtre, Mario Terrile, il se familiarise avec la spiritualité de Chiara Lubich, qui le bouleverse. C’est au cours de la Mariapolis de 1977, une rencontre du mouvement des Focolari, qu’Alberto reçoit une grâce qui va changer sa vie pour toujours : ” Dieu Amour “. La même année, il rejoint les Gen (Génération Nouvelle), la branche des jeunes du Mouvement, et c’est là qu’il rencontre Carlo avec qui il fait l’expérience d’une profonde unité qui leur permet de dépasser leurs différences de caractère. Carlo, contrairement à Alberto, est un garçon plus porté à l’intériorité et poète à ses heures. Il étudie l’agriculture et aime lire, jouer de la guitare et écrire des chansons. C’est un rêveur, un idéaliste, rien à voir avec la grande passion d’Alberto pour la montagne et sa rigueur mathématique de futur ingénieur. Et pourtant une grande aspiration les unit : leur désir de porter aux autres l’idéal évangélique du monde uni dans la joie et l’enthousiasme et, surtout, de toujours mettre en pratique le message de Jésus « Là où deux ou plusieurs sont unis en mon nom, je suis au milieu d’eux. » (Mt 18, 15-20). Au contact du mouvement des Focolari, qu’il connaissait depuis son enfance grâce à ses parents, Carlo a cultivé l’art de “devenir saints ensemble”, une invitation lancée par Chiara dans l’un de ses messages : voilà qui est devenu pour lui un objectif prioritaire, surtout après son déménagement à Gênes à cause du travail de son père. Vir, “homme vrai, homme fort” n’est pas seulement le nom que lui donne la fondatrice du mouvement des Focolari, mais il devient au fil du temps un programme de vie pour Carlo qui puise sa force en Jésus, la seule source d’énergie possible, comme il l’écrit dans une de ses chansons : « Et respire dans l’air l’amour que te donne ce nouveau soleil qui se lève sur toi ». L’amitié entre ces deux jeunes a duré trois ans, et pourtant ils semblaient avoir la maturité de personnes avisées et fortes d’une longue expérience, ce qui caractérise en général la sagesse des anciens. Dans leur quête d’un Amour authentique, ils découvrent la pureté comme moyen d’atteindre la vraie liberté ensemble et de partager cet idéal avec leurs amis : leurs pensées, profondes, s’entrecroisent en forme de motifs aux couleurs variées sur des feuilles de papier, les messages whatsapp d’autrefois. Alberto écrit à Carlo le jour de son dix-neuvième anniversaire : « Ce sera probablement une année de service militaire pour toi – peut-être de nouvelles difficultés, de nouvelles joies – Un peu comme la journée d’aujourd’hui, qui a commencé par un temps merveilleux et qui, à 16 heures, s’est assombrie comme en hiver (…) Mais nous savons que derrière ces nuages, il y a le soleil. » Alberto et Carlo ont cultivé cet amour réciproque qui leur a permis d’accueillir les joies et les peurs, les luttes et les conquêtes : confiants dans l’Amour qui peut tout faire, ils étaient disposés à vivre les paroles de l’Évangile : « Personne n’a de plus grand amour que celui-ci : donner sa vie pour ses amis » (Jn 15,13). Alberto a perdu la vie dans les montagnes de Cuneo, le 18 août 1980, à la suite d’une chute en escaladant un ravin gelé dans les Alpes maritimes. Carlo n’a pas pu assister à ses funérailles. Le 16 août, il revient de la caserne pour des tests après une série d’évanouissements et de paralysies des membres. Au bout de quelques heures, et après avoir consulté un médecin qui n’a pas caché la gravité de son état, il est hospitalisé. Il s’agit d’une néoplasie. On lui fait part de la mort d’Alberto, mais ses jours sont comptés et il doit se rendre de toute urgence à l’hôpital. 40 jours sépareront les deux amis avant qu’ils ne se retrouvent, unis pour toujours. Au cours des derniers jours qu’il a passés à l’hôpital, Carlo, bien que très affaibli, a salué tout le monde avec un grand sourire : « Je sais où je vais – a-t-il dit à une infirmière – je vais rejoindre un de mes amis qui est parti il y a quelques jours dans un accident de montagne. » Il sent la forte présence d’Alberto à ses côtés et il est impatient de faire ce “saut en Dieu” dont il parle à sa mère à l’hôpital : une plongée dans l’immensité qui l’a ramené à la maison du Père le 29 septembre 1980. Aujourd’hui, 40 ans plus tard, ce pacte invisible scellé dans l’amitié par Alberto et Carlo est plus fort que jamais et passe par une nouvelle phase. Ce qui est en réalité étonnant, c’est le caractère extraordinaire de l’événement. Dans l’histoire de l’Église, il n’est jamais arrivé que le procès de canonisation de deux personnes distinctes soit mené en même temps et concerne deux amis. Pour qu’Albert et Charles soient d’abord béatifiés et ensuite saints, deux miracles par leur intercession sont nécessaires, mais comme la prière est la même pour tous les deux , ils seront de toute façon “saints ensemble”. C’est la confirmation d’une amitié spirituelle comme chemin possible vers la sainteté. En vivant “sur la terre comme au ciel”, ils ont expérimenté la vraie joie, fruit d’une inspiration prophétique de Chiara : « Je souhaite que vous deveniez des saints, de grands saints, rapidement. Ainsi je suis sûre de vous mettre le bonheur entre les mains. »

 Maria Grazia Berretta

Friederike Koller : proximité et vastes horizons

Friederike Koller : proximité et vastes horizons

Toujours prête, disponible, proche et en même temps capable d’avoir une vision globale. Elle nous a quittés le 5 décembre dernier. Depuis 2014, elle était Conseillère au Centre International du Mouvement des Focolari.

Friederike Koller colle fondatrice du mouvement des Focolari Chiara Lubich

Aujourd’hui, savoir regarder et contenir un horizon qui s’élargit toujours davantage est une qualité nécessaire à ceux qui occupent des postes de direction dans des organisations internationales où se révèle la grande complexité qui caractérise notre époque. Friederike Koller avait cette capacité. Elle nous a quittés le 5 décembre dernier après une maladie foudroyante et une vie intense, passée principalement entre l’Europe et l’Afrique, mais vécue aux côtés de nombreuses personnes en provenance de tous les continents. De 2014 à 2020, en effet, Friederike, focolarine allemande, a été Conseillère au Centre International du Mouvement des Focolari en tant que Déléguée centrale, une responsabilité partagée avec Ángel Bartol ; c’est-à-dire qu’ils ont été les plus proches collaborateurs de la Présidente et du Coprésident du mouvement, chargés d’une responsabilité importante et délicate : travailler au maintien de l’unité des communautés des Focolari dans le monde. Il s’agissait d’une mission qui concernait sur des réalités locales et globales, pour ainsi dire, avec des défis continuels et extrêmement variés, où les diversités culturelles, sociales et politiques exigeaient une vision globale de peuples entiers, sans oublier l’attention à chaque personne. Friederike était médecin de profession et comme le dit Peter Forst, un focolarino allemand – « elle a toujours eu le souci de guérir, jamais d’infliger de nouvelles blessures. Écouter, savoir attendre, se laisser toucher profondément par les situations, se mettre toujours en question, être proche, ne pas fuir les conflits, gagner la confiance : voilà quelques-unes de ses grandes qualités. » L’attention portée à chaque personne et le désir de faire quelque chose de grand caractérisent les choix de Friederike depuis sa plus tendre enfance : à commencer par la musique et la danse qui, explique-t-elle, lui ont permis « d’entrer dans un monde qui ne passe pas, qui a saveur d’éternité. » Mais avec l’adolescence, elle commence à se poser les grandes questions sur le sens de sa vie. Cette recherche l’amène d’abord à s’inscrire à la faculté de philosophie, puis à changer complètement d’orientation : elle choisit la médecine et pense pouvoir ainsi aider beaucoup de personnes et peut-être saisir le “secret” de la vie. Un épisode tragique marque un pas de plus vers la découverte du sens qu’elle cherchait tant : paradoxalement, la mort absurde d’une amie, à la suite d’un grave accident, lui ouvre une porte sur la présence de Dieu en elle et une première conversation avec Lui. « Pour la première fois – raconte-t-elle – ce Dieu qui me semblait n’être qu’un “juge” est devenu vie, beauté et harmonie. » C’est ainsi qu’elle a découvert en Lui la Vérité qu’elle avait tant cherchée. Le premier contact avec la spiritualité des Focolari coïncide pour Friederike avec la découverte d’un Évangile ” possible ” et réalisable. « Ma conception individualiste de la pensée et de l’action – raconte-t-elle – s’est écroulée, et peu à peu j’ai commencé à regarder les personnes qui m’entouraient comme de véritables frères et sœurs, confiante dans l’Amour du Père pour chacun. » La vie est devenue intense et riche : au travail, avec les jeunes, au service des plus pauvres. « Je sentais en moi le désir de me donner pleinement à Dieu ; en même temps, j’avais une peur folle de perdre ma liberté. » C’est à cette époque qu’elle approfondit sa connaissance de Marie, la mère de Jésus : « Un jour, je me suis souvenu de ce “oui” qu’elle avait dit contre tout raisonnement humain, et malgré toutes les peurs qu’elle éprouvait aussi. Cela m’a donné le courage de dire aussi mon “oui”. » Après l’école de formation des focolarines à Loppiano (Italie), elle retourne vivre en Allemagne, d’abord à Cologne, puis à Solingen. Elle exerce la profession de médecin pendant quinze ans, qu’elle définira comme « une école d’humanité, de partage, mais aussi d’humilité et de profond respect devant la vie de tant de personnes aux difficultés inimaginables. »

Friederike avec des jeunes au Nigeria

En 2010, le mouvement des Focolari cherchait une responsable pour le Nigéria, à un moment difficile pour la situation sociale du pays soudainement confronté au terrorisme. Friederike, alors coresponsable des Focolari dans le nord-ouest de l’Allemagne, n’a pas demandé ce service  à d’autres, mais elle s’est proposée pour y aller. « Elle aimait vraiment le peuple nigérian – rappellent les focolarine de ce pays – avec ses énormes défis géographiques, ethniques et religieux. Elle a su partager nos difficultés, accompagnant chaque situation jusqu’au bout. Elle nous a épaulées et nous a encouragées à toujours choisir les plus petits. » Elle avait un amour de prédilection pour les laissés-pour-compte, les pauvres, les oubliés, et sa sollicitude envers tous ceux qu’elle rencontrait n’a jamais changé, même lorsqu’elle avait d’importantes responsabilités. Au cours de ces dernières années, tous les 15 jours, elle se rendait comme bénévole à Rome au Centre Astalli, qui accueille des femmes immigrées. Elle préparait le dîner et, si nécessaire, aidait à nettoyer la cuisine. Parfois, un dialogue spontané s’instaurait avec ces femmes, et, dans certains cas, son expérience de médecin a été précieuse. Elle restait éveillée jusqu’à ce que la dernière soit rentrée, souvent tard dans la nuit. Le lendemain matin, elle partait très tôt pour Rocca di Papa, afin de rejoindre directement son bureau au Centre International des Focolari. Tous les 15 jours, de façon discrète et presque incognito, elle se rendait à Rome au Centre Astalli, comme bénévole, offrant accueil et consolation aux femmes immigrées. Elle a également partagé avec simplicité et naturel sa vie de communauté au quotidien. « Elle faisait tout avec beaucoup de soin. Avec elle, il était très difficile d’aimer en premier, on arrivait inévitablement toujours en second… » « Ce fut une grande chance d’apprendre à connaître Friederike – nous confie Conleth Burns, un jeune Irlandais avec qui Friederike a travaillé pour le projet Pathways – elle était toujours disponible, serviable, proche, capable de voir chaque réalité dans une perspective globale. Pour elle, l’unité avait toujours deux dimensions : grande et petite, quotidienne et stratégique, personnelle et sociale. Je pense que la meilleure façon de nous souvenir d’elle est de suivre son exemple et de le vivre pleinement. »

                                                                              Anna Lisa Innocenti et Stefania Tanesini

Chiara Lubich : Veiller et prier

Nous sommes dans le temps liturgique de l’Avent. D’attente donc, de préparation pour Noël. Un temps pour veiller et prier. Mais comment faire ? En cette occasion aussi, nous sommes aidés par les circonstances, par les frères et les sœurs que nous rencontrons tout au long de nos journées : l’amour que nous saurons donner sera notre prière et elle sera agréable au Ciel. « Veillez et priez » (…) ces simples mots renferment le secret qui permet d’affronter aussi bien les événements dramatiques de la vie que les inévitables épreuves quotidiennes. Mais aujourd’hui, dans le rythme frénétique où la vie nous entraîne, comment réussir à ne pas nous laisser séduire par le chant de si nombreuses sirènes ? Et pourtant ces paroles de l’Évangile sont faites pour nous aussi… Jésus ne peut pas nous demander quelque chose que nous ne serions pas en mesure de réaliser, même aujourd’hui. Il ne peut nous exhorter à faire quelque chose sans nous donner aussi le moyen de vivre selon sa parole. Comment rester alors éveillés et sur nos gardes comment être sans cesse recueillis dans la prière ? Peut-être avons-nous cherché à le faire en nous protégeant de tout et de tous. Mais ce n’est pas la bonne route et l’on ne tarde pas à s’apercevoir qu’il faudra un jour ou l’autre, rebrousser chemin. La voie qu’il faut suivre, nous la trouvons aussi bien dans l’Évangile que dans l’expérience humaine. Quand on aime une personne, notre cœur veille sans cesse tandis que nous l’attendons, chaque minute qui passe sans elle, est vécue en fonction d’elle. Celui qui aime est un bon veilleur. Veiller est le propre de l’amour. C’est ainsi qu’agit celui qui aime Jésus. Il fait tout en fonction de Lui, Lui qu’il rencontre à tout moment dans les manifestations simples de sa volonté et qu’il rencontrera solennellement au jour de sa venue. (…) Ce sourire à donner, ce travail à accomplir, cette voiture à conduire, ce repas à préparer, cette activité à organiser, cette larme à verser pour le frère ou la sœur qui souffre, cet instrument à jouer, cet article ou cette lettre à écrire, cet événement joyeux à fêter, ce vêtement à nettoyer… Si nous faisons tout cela par amour, tout, tout peut devenir prière. Pour veiller, pour prier sans cesse, il faut donc être dans l’amour : aimer la volonté de Dieu et chaque prochain qu’il placera à nos côtés. Aujourd’hui j’aimerai. Ainsi je veillerai et je prierai à chaque instant.

Chiara Lubich

(Chiara Lubich, in Parole di Vita, a cura di Fabio Ciardi, Opere di Chiara Lubich, Cittá Nuova, 2017, pag. 634-636)

Méditerranée : nouveaux récits d’unité

Méditerranée : nouveaux récits d’unité

« Planter des graines de paix et les voir s’épanouir ». Les paroles de Margaret Karram lors de la table de dialogue « Graines d’espoir contre prophètes de malheur : un partenariat entre Religion et Gouvernement pour une nouvelle politique d’unité méditerranéenne » à Rome MED 2021, organisé par le Ministère italien des Affaires étrangères et de la Coopération internationale et de l’ISPI.  « Je crois que dans la région méditerranéenne, les politiques gouvernementales devraient créer un environnement politique propice au pluralisme et à l’égalité des citoyens ». C’est par ces paroles que Margaret Karram, Présidente du mouvement des Focolari, s’est exprimée lors de la septième édition de Rome MED 2021 (Dialogues méditerranéens) à Rome (Italie) le 3 décembre dernier. « Je pense que les religions aussi, a-t-elle poursuivi, peuvent faire partie de la solution, en offrant et en promouvant un récit différent. (…) Chacun de nous a son propre récit et nous devons écouter, comprendre et respecter le récit de l’autre personne ». L’événement, qui s’est déroulé à Rome du 2 au 4 décembre 2021, est l’initiative annuelle de haut niveau promue par le Ministère italien des Affaires Étrangères et de la Coopération Internationale et l’ISPI (Institut Italien d’Études des Politiques Internationales), qui réunit des hommes politiques, des universitaires, des entrepreneurs, des chefs religieux, des ONG, sur les opportunités offertes par la Méditerranée et sur la manière de faire face aux nombreuses crises qui l’entourent et la traversent. L’intervention de Margaret Karram faisait partie d’un panel intitulé « Graines d’espoir contre prophètes de malheur : un partenariat entre Religion et Gouvernement pour une nouvelle politique d’unité méditerranéenne ». Le dialogue, modéré par Fabio Petito (responsable du programme Religions et relations internationales de l’ISPI) et Fadi Daou (cofondateur de la Fondation Adyan), a vu la participation de la Vice-ministre italienne des Affaires Étrangères et de la Coopération Internationale, Marina Sereni, de Noemi di Segni (Président de l’Union des communautés juives italiennes), d’Azza Karam (Secrétaire Général des Religions pour la paix), de Mons. Miroslaw Wachowski (Sous-secrétaire pour les Relations avec les États du Saint-Siège) et Haya Aliadoua (Conseillère du Secrétaire Général de la Ligue musulmane Mondiale). La réflexion du panel sur la crise de désunion qui, depuis quelque temps et pour diverses raisons, affecte les rives de la Méditerranée, théâtre d’affrontements entre les différentes civilisations, a fait avancer le débat et, en même temps, a laissé la place à d’éventuelles nouvelles initiatives et à une plus grande implication des leaders religieux et des communautés dans la vie publique, afin de promouvoir de nouveaux chemins de fraternité et de paix. « Hier encore, a déclaré Margaret Karram, le Pape François, à son arrivée à Chypre, a souligné que « mare nostrum » – comme l’appelaient les Romains – est « la mer de tous les peuples qui se tournent vers elle pour être reliés et non divisés[1] ». Je pense que c’est la véritable identité de la région méditerranéenne ». Penser la Méditerranée, poursuit Margaret Karram, non pas comme une crise permanente mais comme une opportunité de travailler efficacement : « Nous sommes présents en tant que Focolari dans cette région de la Méditerranée depuis plus de 50 ans. Faire entrer l’engagement interreligieux dans la vie quotidienne, aider concrètement les personnes dans leurs besoins, c’est la leçon que nous avons apprise et à laquelle nous tenons beaucoup ; je crois que les stratégies de haut niveau n’ont pas un impact profond ». En parlant d’actions concrètes, la Présidente des Focolari a présenté quelques exemples et témoignages qui, du Liban à la Syrie, révèlent l’importance de mettre la personne au centre, de soigner les relations et la diversité, et soulignent le rôle que les religions peuvent jouer dans ce domaine. « L’amour et le souci de chaque être humain sont au cœur de ce message », a-t-elle conclu. « Les religions ont cette capacité naturelle de créer des réseaux, d’attirer les gens dans un espace où nous pouvons planter des graines de paix, des graines d’espérance, et les voir fleurir ».

Maria Grazia Berretta

[1] Le Pape François, Rencontre avec les autorités, la société civile et le corps diplomatique – “Ceremonial Hall” du Palais Présidentiel à Nicosie (Chypre), 2 décembre 2021. Cfr. https://www.vatican.va/content/francesco/fr/speeches/2021/december/documents/20211202-cipro-autorita.html